lundi 21 janvier 2013

Tunisie: Affaire de Jradou - Le ministère de l'environnement appelle aux négociations - Situation d'urgence


La Presse.tn



• Fermé depuis 22 mois, le centre est exposé à des risques d'explosion
Hier, le tribunal de première instance de Zaghouan s'est de nouveau penché sur le litige opposant l'Agence nationale de gestion des déchets, sous tutelle du ministère de l'Environnement, et les habitants de Jradou concernant le centre de stockage des déchets industriels fermé depuis le 28 février 2011. Pour le ministère de l'Environnement, quel que soit le verdict, la situation urge et la priorité consiste à démarrer des travaux de maintenance du centre et de ses équipements afin d'éviter d'éventuels accidents fâcheux. Les 1.500 habitants de ce village du gouvernorat de Zaghouan, qui ont encore une fois protesté mardi dernier, ne veulent rien entendre ; pour eux, il n'est plus question de rouvrir les portes de ce «centre de la mort» qu'ils ont contesté depuis l'étape de sa conception.
Cela fait 22 mois que le centre est fermé et abandonné à son sort. Personne ne sait ce qu'il est advenu des grandes quantités de déchets industriels dangereux stockés dans les bassins et délaissés, depuis le 28 février 2011, dans les tuyauteries, les machines, et les équipements de laboratoire. Leur stagnation pendant tout ce temps n'est peut-être pas sans conséquence fâcheuse sur l'état des équipements ni sans risques sur la santé des habitants, sur la nappe phréatique et sur l'environnement de la zone en général. Les experts allemands et tunisiens n'ont pu s'y introduire que ce mardi 15 janvier 2013, grâce à une autorisation judiciaire, afin de procéder à l'évaluation de l'état du centre et à l'expertise technique du matériel existant. Cette initiative a pour unique objectif d'engager les travaux de maintenance et de réparation nécessaires dans l'intérêt général, aussi bien celui des habitants de Jradou que des autorités de tutelle ainsi que du partenaire allemand qui, dans le cadre de la coopération bilatérale, a réalisé ce centre (25MD) suite à un appel d'offres international, et qui est prêt aujourd'hui à financer les réparations en y consacrant une enveloppe de 5 millions d'euros (10 MD).
Travaux de maintenance urgents
Les habitants de Jradou, opposés, depuis l'étape de sa conception, à la construction du centre, ont imposé sa fermeture le 28 février 2011 et intenté un procès en mars 2011 contre l'Agence nationale de gestion des déchets pour cause de préjudices conséquents à l'impact négatif de la présence du centre sur leur santé, sur la nappe phréatique et sur l'environnement en général. Trois experts nationaux ont été désignés par le tribunal de Zaghouan pour faire toute la lumière sur cette usine, l'unique du genre en Afrique et dans le monde arabe et mise en service en novembre 2009. Le rapport d'expertise est mitigé : absence d'impact négatif sur la population, la nappe phréatique, le couvert végétal, les animaux (bétail). En substance, le centre répond aux normes internationales en vigueur. Mais le rapport signalera quand même des manquements et des carences comme la présence et le non-traitement d'un déchet industriel très ancien, l'acide chlorosulfonique, qui n'est plus utilisé dans les industries depuis plus de 20 ans. Aussi, l'enfouissement, illicite et non déclaré, de deux containers remplis de déchets non identifiés, outre l'existence de fissures dans la paroi asphaltée isolante du bassin de stockage des lixiviats (fraction liquide produite par la fermentation naturelle des déchets sous l'action de l'eau de pluie), ce qui risque d'entraîner des infiltrations dans la nappe phréatique. Le rapport des experts, qui ne mentionne pas la nécessité de fermer définitivement le centre, fait tout de même pencher la balance judiciaire (août 2011) vers l'arrêt des activités au sein du centre jusqu'à examen de la plainte initiale des habitants de Jradou. Cette décision sera prise en dépit du recours judiciaire de l'Anged (juin 2011) pour obtenir l'autorisation de visiter l'intérieur du centre et procéder aux travaux de maintenance des équipements et de sécurisation du centre menacé par des risques d'explosion dus à la chaleur et à la non-aération du site. Décision judiciaire reconduite en novembre 2011. Ce 18 janvier 2013, le tribunal de Zaghouan examinait la plainte initiale des habitants de Jradou pour la cinquième fois. A propos du stockage de l'acide chlorosulfonique dans le centre de Jradou, l'Anged explique qu'il s'agit d'une action provisoire et exceptionnelle en raison de l'impossibilité de retourner le déchet à son producteur et que l'opération a eu lieu, avant la révolution, sur la base d'une autorisation délivrée par les services de la Garde nationale. Quant aux fissures existant sur la paroi externe, celles-ci ne présentent pas de danger car le bassin est composé de quatre couches isolantes, ce qui rend impossible toute infiltration.
Le ministère prêt à négocier et à réparer
La situation à Jradou reste tendue. Les experts allemands et tunisiens poursuivent encore leur travail d'évaluation et d'exploration qui devrait durer une quinzaine de jours. Et le ministère de l'Environnement se dit prêt à prendre les mesures nécessaires pour remettre de l'ordre dans le centre et pour répondre aux attentes des habitants de Jradou «pourvu qu'ils acceptent de discuter et de négocier, nous sommes prêts à les écouter et à étudier leurs demandes», déclare à La Presse Mme Mamia El Banna, ministre de l'Environnement. La ministre a, en effet, proposé la création d'une commission qui réunirait toutes les parties concernées, y compris des représentants de la population de Jradou pour évaluer ensemble la situation et trouver des solutions consensuelles. La ministre s'est, également, engagée à remédier à tous les manquements signalés par les experts. «Ce centre a été réalisé avant la révolution, mais le ministère de l'Environnement assume aujourd'hui la responsabilité d'apporter les rectifications nécessaires ; nous sommes également disposés à envisager une nouvelle vision quant à l'exploitation de ce centre», déclare encore la ministre de l'Environnement. Il est tout à fait possible, indique la ministre, d'envisager la création de PME de transport de déchets par exemple et de permettre ainsi de créer des emplois dans cette zone où il n'y a que ce centre de gestion des déchets industriels et quelques carrières. La ministre justifie les protestations légitimes des habitants de Jradou et salue leur sens de la responsabilité et leur sagesse qui ont permis à la visite des experts allemands sur le site, mardi dernier, de ne pas dégénérer en affrontements. En tout état de cause, du côté du ministère de l'Environnement, on considère que la fermeture du centre serait catastrophique pour des raisons économiques, sociales et de coopération internationale, outre l'élimination pure et simple du système de gestion durable des déchets industriels et le retour aux rejets anarchiques des déchets dangereux dans la nature.
Problèmes économiques, sociaux et de coopération internationale
Selon un rapport de l'Anged, à la suite de la fermeture du centre, la pollution a augmenté : rejet des déchets industriels dans les décharges anarchiques (au coeur des agglomérations), dans les forêts, les oueds et le réseau d'assainissement (Onas). Par ailleurs, les deux nouveaux centres de transfert créés respectivement à Sfax et Gabès, fin prêts, n'ont pas pu entrer en service par crainte d'une opposition des habitants riverains et parce que le traitement physico-chimique dépend de l'unité centrale de Jradou.
Sur le plan économique, la fermeture du centre de Jradou compromet la certification environnementale de qualité, ISO 14001, de 18 entreprises industrielles engagées dans le processus de gestion durable des déchets industriels et tenues de respecter ses différentes étapes dont la livraison des déchets au centre de Jradou pour traitement.
Sur le plan social, la fermeture du centre de Jradou met au chômage technique 54 salariés dont des ingénieurs, des techniciens et des agents d'administration. 37 des employés du centre sont des habitants de Jradou, 2 d'Oued El Kenz, 5 du village voisin de Zriba, 6 de la ville de Zaghouan, chef-lieu du gouvernorat. Quatre seulement des employés viennent de l'extérieur de Zaghouan en raison de l'absence de leurs qualifications dans la région (ingénierie chimique, mécanique et électronique).
La fermeture du centre a, également, un impact négatif sur les relations avec la société exploitante du centre vu le non-respect des termes du cahier des charges en vigueur et sur les projets régionaux en cours d'exécution et qui sont liés à celui de Jradou. Ce qui pose un sérieux problème au niveau de la coopération technique tuniso-allemande et de la coopération internationale en général dans le domaine environnemental. La partie allemande, partenaire traditionnel de la Tunisie dans le domaine environnemental, est, actuellement, en attente des solutions adéquates avant de décider la poursuite de son financement et de sa supervision des projets en cours et ceux programmés en matière de gestion des déchets industriels dans les gouvernorats de Bizerte, Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa, Jendouba, Le Kef, Tataouine et Kébili.
Dans le cadre du recyclage de la dette tunisienne, la partie allemande a exigé la visite du centre et l'évaluation directe de l'état du centre et de ses équipements avant de procéder à sa réhabilitation et sa remise en état pour laquelle le bailleur de fonds allemand a prévu une enveloppe de 5 millions d'euros. A ce titre, une réunion convoquée par la ministre de l'Environnement avec les parties concernées devrait avoir lieu dans les prochains jours, peut-être aujourd'hui, afin de débloquer la situation.
Le dossier de Jradou a tout d'une affaire de démocratie locale qui a été minée par un système de gouvernance despotique qui ne croyait pas en l'approche participative. Aujourd'hui, l'occasion est là, propice à l'engagement d'un dialogue constructif entre décideurs politiques et citoyens. Il ne faut en aucun cas la rater.



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